Arsène Le Niniven,

Né à Plouhinec le 18 mai 1927, il a participé à la réfection du clocher de l’église Notre-Dame-de-Joie, abattu pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il est décédé le 18 janvier 2013 à Merlevenez.

Témoignage recueilli en 2012.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Pendant la guerre, j’habitais à Nostang. Nous sommes partis nous réfugier à Larmor-Landaul durant l’occupation. Nous avions la vie rude avec les Allemands là-bas ; les obus tombaient de tous les bords. Nous n’avions pas grand-chose à manger. A cette époque, j’étais bien vu. Nous étions réfugiés dans une ferme et nous avions de quoi manger, des pommes et des patates, tandis qu’autrement, il n’y avait pas grand-chose. A ce moment-là, nous étions rationnés en pain, avec une carte. Tant que la carte durait, cela allait bien, puis c’était dur. Une fois la guerre finie, nous avons habité un peu à Landévant, à côté de la gare, après le passage à niveau à gauche, près de chez Fifine Painchaud. Nous sommes revenus à Nostang ensuite.

 

 

A Merlevenez, l’église avait été bien abîmée. Une partie était restée au-dessus de la tour, mais la flèche avait été abattue, ainsi que la porte d’entrée. La reconstruction n’a pas commencé tout de suite après la guerre et a duré au moins quatre ans, de 1956 au début des années soixante. Pendant tout ce temps, les messes étaient célébrées dans une baraque. La reconstruction s’inscrivait dans un projet national, avec les dommages de guerre. L’église était un bâtiment classé. C’était le seul gros chantier sur la commune.

 

Le soir, nous allions boire un verre avec un voisin de Nostang, en revenant de Lorient à vélo. A ce moment-là, il n’y avait pas de voiture. C’est là que le père Le Loir m’a proposé : « On cherche des bons à travailler par ici. Pourquoi est-ce que vous allez à Lorient ? ». Chose faite ! Le samedi d’après, je suis allé voir le chef de chantier et je lui ai demandé s’il embauchait des maçons. « On cherche que ça », m’a-t’il dit. Je n’étais pas du métier. Je n’avais jamais fait de taille et j’ai appris sur le tas. Une fois que j’avais commencé, ce n’était rien.

 

Nous étions quatre à travailler là-haut. Il y avait aussi de bons tailleurs de pierre : François Le Loir, Milo, et les deux meilleurs, Michel Aimé et Jean-Marie Bigouden, sérieux et sympa, qui venait des alentours de Quimper et qui n’aimait pas la compagnie des autres. Il était souvent tout seul et s’amusait à fabriquer de petits paniers en joncs. Nous étions une dizaine en tout. Nous avions récupéré peu de pierres de l’ancienne flèche. En tombant, elles s’étaient cassées ou abîmées. Il a fallu commencer par tout déblayer, puis nous avons tout retapé.

 

Une entreprise de Paris s’occupait du chantier, Chevalier et Léger, qui ne faisait que de la réfection en Beaux-Arts. Quand ils sont arrivés à l’âge de la retraite, ils ne voulaient plus venir par ici et ils ont laissé leurs fils s’en occuper. L’architecte Linch, venu de Paris aussi, a fait les plans, en s’appuyant sur ce qui existait auparavant. La longueur de la flèche était auparavant de quarante-sept mètres, mais elle a diminué de quelques-uns. J’avais un carnet où j’avais tout noté.

Le granit venait en camion des carrières de Gourin. Les pierres étaient taillées en bas. Certaines étaient très lourdes. Pour les monter, nous avions un treuil, ainsi qu’un monte-charge pour les cailloux et la colle, c’est-à-dire le ciment. L’échafaudage métallique était, d’un côté posé par terre à l’extérieur de la tourelle, et de l’autre sur la corniche. Il a été directement monté jusqu’en haut. Nous y accédions par l’escalier ou par des échelles. Je n’avais pas le vertige. Il n’y avait pas de harnais comme maintenant, mais nous n’avons pas connu d’accident. Pas ici. Roger, un grand blond, est décédé dans le Finistère.

Nous ne montions pas tout d’un coup comme ça, mais chaque jour un petit peu plus haut. Tant qu’il y avait des pierres, nous continuions à les poser. Seulement, les tailleurs n’arrivaient pas à nous fournir. Il en fallait du temps pour tailler toutes ces pierres. Nous travaillions beaucoup plus vite, pour les murs en bas et les marches. Puis, nous allions doucement, le temps de bien faire. Le travail était de plus en plus minutieux en montant. Durioux, le chef de chantier, surveillait. Une partie de l’escalier en colimaçon a été refaite, celle située en hauteur, ainsi que l’autel, également en pierre. Tous les dallages ont été faits à genoux et les vitraux beaucoup plus tard.

Nous travaillions quelle que soit la saison, sous le chaud ou dans le froid, sauf en cas de gel. Quand il pleuvait, il fallait aussi descendre. Le midi, je mangeais à la maison. Le bistrot Le Bigot existait, mais il n’avait pas trop de succès à l’époque et faisait à peine restaurant. Les ouvriers de l’église mangeaient chez Lestrohan. Le chantier s’arrêtait parfois, quand il n’y avait plus de crédit, puis reprenait. Il fallait alors aller ailleurs, Saint-Jean du Gard, Hennebont, Quimperlé, Malestroit, et d’autres endroits dans le Finistère, Moëlan, Fouesnant, Morlaix.

François Lamourec et moi avons mis la croix sur le clocher. Lui travaillait avec ses sabots de bois. Il n’avait pas le droit, mais il avait une plaie variqueuse sur la jambe et ne pouvait pas mettre de chaussures fermées.  Il a toujours travaillé avec ses sabots, malgré les protestations de Durioux. La croix était lourde. C’était la même qu’auparavant ; elle avait été envoyée chez Baudet pour être réparée. Anne Le Loir est allée mettre un bouquet de fleurs tout à fait en haut. Elle aimait bien regarder les ouvriers ; elle nous suivait. Pépé François était là, avec Fine Le Loir : « Il y a Jésus-Christ sur la croix ! ». C’était en février ?

Il y a eu une belle inauguration avec une messe à la scierie Lestrohan, car il n’y avait pas assez de place pour tout le monde. C’était dehors et il faisait beau. Nous étions bien. Les grands patrons, Léger et Chevalier, étaient là. Les trois cloches dans le clocher ont été bénies, avec les noms des parrains et des marraines gravés dessus. Depuis, elles étaient restées dans une cabane, en bas.

Quand on arrive en haut du clocher, on passe près des cloches et on peut en faire le tour, sur le balcon, par une porte. La plupart des maisons autour avaient déjà été reconstruites. Le clocher de l’église a été comme un point final.

Comme le métier me plaisait bien, j’ai continué pendant vingt-trois ans dans le domaine des Beaux-Arts, toujours en déplacement, entre mes divers postes, sur le Palais de Justice à Rennes, le château de Suscinio ou les remparts d’Hennebont ».

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