Étienne Le Sausse,

né le 7 septembre 1929, à Merlevenez, nous parle de la chasse.

Témoignage recueilli en 2012

Un jour, on avait entendu parler d’un sanglier dans la brousse du terrain de Kermadio. On s’est décidés à quatre ou cinq d’aller le tuer. Mon frère arrivait d’Algérie et avait le droit à une saison de chasse gratuite. Tout le monde avait des fusils à balles, moi de la chevrotine, et lui un fusil que je lui avais donné, avec du plomb comme pour les pigeons. On a levé le sanglier, les chiens étaient dessus, deux autres chiens et le mien, trois chiens qui douillaient. Près du ruisseau, mon frère a entendu un bruit sourd et a cru que le père Abdel traversait. Mais c’était le sanglier, qui arrivait avec lui dans un endroit clair, avec un petit sapin de rien du tout. « Mon Dieu, j’ai eu presque la trouille. On s’est pas tirés dessus ! Il serait venu sur moi… », a dit mon frère. Le seul qui aurait pu le tuer, s’il avait eu de la chevrotine ou de la balle… Le sanglier, perdu de vue ! On avait su après qu’il avait fait du chemin et traversé Hennebont jusqu’à Lochrist. Là, il a sauté un muret, haut comme ça, côté route, avec au moins sept ou huit mètres de dénivelé, et a cassé ses pattes en tombant. Ce sont les ouvriers des Forges qui l’ont trouvé le lundi. Quant aux chiens, on ne savait ni où les trouver, ni qu’ils étaient allés jusque là-bas. Le marchand de tissu de Kervignac, revenant vers ici du marché d’Hennebont, le jeudi, les avait vus au Moulin-Vert. Il nous a prévenus, parce qu’il avait entendu parler de l’histoire, et on les a récupérés. Le mien, en arrivant à la maison, est tout de suite allé vers le grand récipient où on mettait le lait, tellement il avait faim. Il s’est mis une ventrée de lait écrémé, puis il est parti dans le grenier de foin, où il est resté huit jours sans descendre !

 

Une autre fois, toujours dans notre coin, on a levé un renard, sur la butte de Manéris, entre Beg Er Lann et Plouhinec. On entendait les chiens du côté de Lesténo, qui venaient après le renard. J’ai dit à Armand : « On va s’éparpiller, on ne va pas rester l’un à côté de l’autre ». Et en allant parmi la lande, dans un petit sentier, on a trouvé un collier avec un grelot, tombé d’un chien, peut-être huit jours, un mois, ou deux auparavant, tout détrempé. Armand me dit : « Ramasse-le ! ». Je l’ai mis dans mon sac et j’ai dit : « Écoute ! Ils viennent ». Il est allé de l’autre côté d’un terrain plat entre Kergatorne et Kerdaniel, et je suis resté de ce côté-ci. On a entendu un coup. Bang ! Mais on n’a pas entendu : « Poh ! Poh ! Poh ! Poh ». J’ai dit : « Il court toujours ! ». En effet, le renard s’est pointé assez loin, et tac ! Armand a tiré dessus. Le renard a fait des grimaces et est venu droit sur moi. J’ai attendu qu’il arrive à dix mètres. Bang ! Tué net ! On entendait : « Ça y est ! » – « Oui, ça y est ! «  – « Il est mort ! ». Armand me dit : « Vas-y, le collier… Mets-lui sur son cou ! ». Je lui ai donné le collier. Le renard était mouillé et le collier, trempé. Ça correspondait au poil ! Noël venait : « Vous l’avez eu ? Ah ! Il a un collier dessus ? » – « Oui » – « Oh ! Ce renard-là, ça doit être celui de Prima, le boulanger. Il en a un comme ça, derrière chez lui. Il a dû casser sa corde ! Je l’entendais passer dans la brousse. Il devait être facile à tuer ! ». C’était faux ! On se marrait. Le lundi, il travaillait avec l’entreprise Guillemoto. Pierre avait su l’histoire, comme tout le monde, naturellement, et lui avait dit : « Mais non, il n’avait pas de collier ! ». Ils ont parié une bouteille, Noël a dû payer et il nous en a voulu.

 

Toujours dans le même secteur, on a levé un chevreuil et mis les chiens après lui, dont le mien, rapide malgré son cul de travers. Le chevreuil est parti vers Lesténo, le Resto et tous ces coins là-bas. J’entendais toujours aboyer et je me disais que les chiens arrivaient vers Plouhinec : «Ils ne vont quand même pas aller à Gâvres ! ». J’ai traversé tout seul le plateau à Kergatorne, et je suis allé encore plus loin, presque chez Raphaël, le marchand de ferraille. Je me suis pointé sur le talus sans avoir peur. Le chevreuil venait de Kerplévert ; la route de Beg Er Lann à Plouhinec était entre nous. J’espérais qu’il arrive par un vieux chemin de charrette. D’un coup, je n’ai plus entendu les chiens, puis douille à nouveau. J’ai vu le chevreuil à quatre-vingts mètres de moi, un peu plus. Avant d’arriver sur la route, il s’est mis derrière une grande touffe d’ajoncs au-dessus d’un sapin. Je savais qu’il était là, mais je ne le voyais pas. J’ai attendu le bon moment, qu’il sorte d’un côté ou de l’autre. Quand il a entendu les chiens aboyer, il s’est déplacé, et poum ! Ensuite, je ne pouvais pas le laisser là ; il fallait le porter et je l’ai mis sur mon dos. J’ai su après qu’il faisait trente-cinq kilos. C’était une femelle. J’avais mon chien et les deux d’Armand. J’ai mis une ficelle sur le mien et je suis allé chez Victor pour qu’il garde le chevreuil le temps d’aller chercher ma voiture. Il m’a dit : « Mets-le dans mon fourgon et je t’emmène à Merlevenez ! ». En passant Beg Er Lann, près de ses deux chiens, attachés à un anneau, Abdel était là, en train de boire un coup. Nous nous sommes arrêtés : « Vous n’avez pas dû beaucoup suer ! C’est ici que vous faites votre chasse, assis sur une chaise ? ». Abdel ne m’a pas cru quand je lui ai dit que j’avais tué le chevreuil. On l’a emmené chez Louis Jobin, le boucher-charcutier, qui l’a dépouillé et gardé au frais. Madame Moreau, un peu cuisinière, faisait restaurant ouvrier. Nous avons rassemblé tous les chasseurs du coin pour faire un gueuleton le samedi soir. J’ai fourni la viande et nous avons bien rigolé.

Merci à la famille d’Étienne Le Sausse pour les photos

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